Rémy, entrepreneur

Voici l’interview de Rémy, fondateur d’Epopia, un jeu sans écran dont l’enfant est le héros.

Quel type d’élève étais-tu ?
Dyslexique et dysorthographique, j’ai connu l’échec scolaire tout au long de mon parcours, avec redoublements, séances d’orthophonie et tous les désagréments de l’échec. Je comprenais tout, mais ça ne marchait pas et j’ai mis des années à prendre confiance en mes capacités et à découvrir que je pouvais malgré tout y arriver. Cela m’a appris à relativiser les soucis, à contourner les routes habituelles et, surtout, à me relever et à avancer malgré l’adversité. Cette résilience est devenue ma plus grande force.

Si tu avais une baguette magique, comment t’en servirais-tu ?
Je lancerais un “Accio horcrux” et je règlerais son sort à Voldemort en moins de 7 tomes… mais comment avez-vous su que je n’étais pas un moldu ?
Ou alors, je briserais la baguette en deux, je récupérerais le crin de licorne à l’intérieur, je le mettrais dans la machine de Jurassik Park et je ferais naitre une licorne, pour de vrai !

Si tu pouvais parler une heure avec le ministre de l’éducation Nationale, que lui dirais-tu ?
Toute une heure ? Je lui parlerais de l’organisation de l’Éducation Nationale qui broie les bonnes volontés des enseignants et démotive massivement ses propres troupes, je lui parlerais de formation des enseignants afin qu’ils deviennent tous experts en pédagogie et sachent comment fonctionnent le cerveau des enfants pour adapter leurs méthodes au plus juste ; je lui parlerais du manque de moyen criant dans l’Éducation, alors que c’est le domaine par essence où investir pour préparer l’avenir ; je lui parlerais de ces politiques marketing de distribuer des tablettes par milliers aux enfants alors qu’un adulte en plus apporterait beaucoup plus, même en cas de panne de wifi ; je lui parlerais des pédagogies nouvelles qui ont fait leurs preuves depuis longtemps, mais qui ne sont toujours pas généralisées dans nos écoles publiques, je lui parlerais de la place des parents dans l’école et de ce que l’Éducation Nationale pourrait mettre en œuvre pour accompagner les parents à la maison, je lui parlerais… ah non, mince, je n’avais qu’une heure ?

Que trouves-tu passionnant dans les décennies à venir ?
J’ai l’impression que nous sommes arrivés à un paroxysme du développement humain, au point que la planète et les espèces dépérissent, que les démocraties régressent vers des dictatures, que la société de loisirs nous entraine vers une idiocratie, des processeurs capables de milliards d’opérations à la seconde servent à regarder des séries en boucle, la guerre et le déluge sont à nos portes, et dans ce sombre tableau où tout ne peut qu’aller de mal en pis, l’éducation et la culture sont certainement les seules armes encore capables de faire évoluer les mentalités et de permettre à l’humanité d’en sortir grandie. Il ne reste qu’à s’en saisir et essayer de sauver le monde !

Qu’est-ce qui doit changer dans l’éducation ?
L’un des soucis qui me touche particulièrement est que l’on veuille appliquer la même méthode pour tous les enfants, sous couvert qu’elle semble être la plus adaptée à la majorité. Mais quand on ne fait pas partie de cette majorité, quand on a une sensibilité différente, une intelligence différente, une manière d’apprendre différente, un handicap particulier, l’institution vous broie pour cause « d’anormalité”. C’est ce genre de fonctionnement qui amène au chiffre désastreux de 20% des enfants qui sortent du primaire avec des difficultés en lecture, en écriture ou en calcul: un enfant sur cinq, 6 enfants par classe ! Les méthodes actives qui mettent l’élève en action, qui l’aident à découvrir par lui-même, au contact de ses pairs et avec un accompagnement subtil de l’adulte, réussissent à amener l’ensemble des enfants vers la réussite. Oui, ça demande davantage de moyens, oui ça demande un gros effort de formation, mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

Comment le faire changer ?
Par quel bout prendre une telle question ? Les moyens ? L’organisation ? L’évaluation ? La formation ? C’est un sujet vaste qui nécessite un véritable sursaut politique et citoyen.

Tu travailles dans l’EdTech. Est-ce que tu n’as jamais voulu toi-même être prof ? Si oui, pourquoi ne pas l’être devenu ?
Oui, j’aurais adoré pouvoir être enseignant, chaque petite victoire quotidienne d’un enseignant peut radicalement changer le cours de la vie des enfants dont ils s’occupent et quelle joie lorsqu’on arrive à faire naitre un intérêt, à éveiller une curiosité, à faire émerger la compréhension. Mais pour le dysorthographique que je suis, galérer à rédiger une phrase sans faute d’orthographe rend l’accès à cette profession un peu plus compliquée… C’est notamment pour cela que je suis heureux de pouvoir aider les enseignants à fédérer et motiver leurs élèves en proposant les aventures Epopia qui permettent d’entrer de manière ludique et créative dans la lecture et l’écriture.

Qu’est-ce qui t’attire dans l’éducation ?
Éduquer, c’est donner du pouvoir sur les choses en apprenant à les nommer, à les comprendre et à les utiliser. Mais un grand pouvoir entraine de grandes responsabilités. La phrase de Victor Hugo “quand on ouvre une école, on ferme une prison” ne m’a jamais convaincu car éduquer tout le monde ne suffit pas, les plus grands monstres de l’histoire étaient des gens éduqués. Il nous faut aller plus loin, enseigner l’empathie, enseigner la maitrise de soi et donner accès à la culture pour élever l’autre. C’est véritablement ce que nous cherchons à faire avec le support pédagogique Epopia, qui permet à chaque enfant de prendre le contrôle de son destin, de gagner en confiance en soi, de libérer son imaginaire, d’explorer sa propre créativité, d’entrer en empathie et de s’ouvrir culturellement, Ce sont les ingrédients idéaux pour façonner des adultes heureux et équilibrés qui seront les citoyens de demain. Alors nous pourrons peut-être collectivement avancer.

Quel est ton plus gros challenge ?
L’un de mes défis est de trouver les moyens de donner aux enfants confiance en eux. Cette confiance qui m’a permis de surmonter ma dyslexie et d’achever des études à Bac+5 quand nombreux souhaitaient que je m’arrête au brevet, cette confiance qui permet de trouver sa place dans la société, cette confiance qui permet de se relever en cas d’échec, cette confiance qui donne l’envie d’apprendre, cette confiance qui permet de s’ouvrir aux autres et à différentes cultures ; cette confiance qui est le ciment de notre personnalité et qui est trop souvent malmenée par l’institution. C’est véritablement dans ce but que nous avons imaginé le jeu de rôle Epopia qui plonge chaque enfant au cœur de sa propre aventure, le place en situation de responsabilité, le valorise dans ses décisions, lui fait ressentir que son avis compte et qu’il est capable d’aider les autres et de faire de bons choix. Que ce soit en dirigeant son propre royaume médiéval, sa réserve naturelle ou même une expédition temporelle retournée au temps des dinosaures, les enfants sont mis en situation de réussite et prennent la dimension de leur potentiel.

Quelle est ta vision de l’éducation? Quels en sont pour toi les challenges ?
Un des challenges éducatifs qui me tient particulièrement à cœur est d’ouvrir le champ des possibles pour les filles. Je suis effaré quand je vois, passé 6 ans, l’écart qui se creuse violemment entre les filles et les garçons sur les métiers dans lesquels ils se projettent. Les filles peuvent tout autant que les garçons mais, très tôt, une certaine pression sociale semble cristalliser un plafond de verre que la plupart ne s’autorise ensuite plus à dépasser. La segmentation markéting omniprésente et les injonctions sexistes répétitives sont un véritable fléau que l’éducation doit aider à briser. C’est notamment pour cela que dans les histoires Epopia, on ne propose pas aux garçons de jouer les chevaliers et aux filles de devenir princesses, non ! Avec Epopia, tous les enfants prennent le contrôle, ont le même niveau de responsabilité et sont accompagnés pour découvrir qu’ils en sont capables et que tous les horizons leur sont ouverts.

Qu’est-ce que tu ne voudrais pas que les gens avec qui tu travailles découvrent ?
Que je reviens la nuit, quand tout le monde dort, dans les bureaux d’Epopia pour faire des plongeons dans notre piscine à boules !

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